Libertés fondamentales et tentations totalitaires

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En cette époque anxiogène et troublée, les gouvernements partout en occident cherchent à restreindre un peu plus les libertés individuelles, et notamment le droit à la vie privée, en instrumentalisant la terreur.

Tendance actuelle

Suite aux attentats meurtriers de Paris, les législateurs, un peu partout en Europe mettent la dernière main à des projets de lois visant à restreindre encore un peu plus les libertés individuelles, et particulièrement le droit à la vie privée sur Internet.

Pourquoi c’est préoccupant

Parce qu’aujourd’hui, tout passe par internet.  Vos communications téléphoniques, vos discussions privées, vos achats en ligne, vos démarches administratives, vos loisirs.  La vie en ligne des citoyens aujourd’hui recouvre une bonne part de la vie de tous les jours, et donc limiter les libertés dans cet espace fondamental, c’est restreindre vos libertés tout court.

Dire comme Manuel Valls qu’on place le pays en état d’urgence pour défendre les libertés est une hérésie.  L’état d’urgence est une suspension partielle des droits constitutionnels, et donc des libertés fondamentales.

Le prétexte terroriste ne tient pas

Prétendre qu’on va limiter le champ des libertés sur internet pour lutter contre le terrorisme est une tromperie délibérée.

Eh oui, aujourd’hui, je crois qu’il est interdit de posséder, de vendre ou d’acheter une AK-47 ?  Ou une ceinture d’explosif ?  Et à plus forte raison encore de s’en servir pour commettre des attentats ?  Je n’ai pas l’impression que cela ait empêché les attentats de Paris, pourtant, mais peut-être les terroristes n’étaient-ils pas au courant qu’ils risquaient de graves sanctions s’ils contrevenaient à ces lois ?

Ainsi des lois restreignant la liberté d’expression ou le droit à la vie privée sur internet ne visent que les citoyens ordinaires : vous et moi.  Absolument pas les terroristes ou les pédophiles qu’on agite opportunément devant vous comme des épouvantails.

Droit à la vie privée

Dans la constitution belge, celui-ci est prévu aux articles :

Art. 22 : Chacun a droit au respect de sa vie privée et familiale, sauf dans les cas et conditions fixés par la loi.

Art. 29 : Le secret des lettres est inviolable.  La loi détermine quels sont les agents responsables de la violation du secret des lettres confiées à la poste.

Imaginez maintenant que le législateur décide que l’inviolabilité de la correspondance est dangereux pour la sécurité nationale et souhaite l’abroger.  En effet, des terroristes pourraient en faire mauvais usage pour planifier des attentats !

J’imagine que la plupart d’entre vous seraient horrifiés.

C’est pourtant bien ce que nos gouvernements veulent faire, en pire.  Parce que non seulement la correspondance deviendrait transparente, mais d’une manière générale, tous les échanges : conversations VoIP, chats, e-mails, etc.

Démocratie vs Sécurité

La tendance actuelle, qui est une manipulation grossière, est d’opposer les deux alors qu’elles peuvent parfaitement coexister en démocratie.  A moins de parler d’un état sécuritaire, forcément incompatible avec la démocratie.

Et les seuls garants de la démocratie, ce sont précisément les citoyens.  Pas le gouvernement.

D’ailleurs la constitution vise à protéger les citoyens contre les possibles tendances totalitaires de l’exécutif (avec parfois le concours des assemblées législatives).

Quand les citoyens doivent en arriver à se poser la question de la protection de leurs libertés individuelles par rapport à leur gouvernement, il y a fort à parier qu’on assiste à une dérive totalitaire.

Urgence ?  Quelle urgence ?

Les politiciens, jamais en reste quand il s’agit de profiter de l’émotion suscitée par un événement tragique, mettent en avant l’urgence de la lutte contre le terrorisme.  Mais nous l’avons vu, les terroristes y sont pour fort peu, et il ne peut y avoir d’urgence quand il s’agit de légiférer sur les droits fondamentaux des citoyens.

Les constitutions belges et françaises sont passées à travers bien d’autres turpitudes sans que jamais il ne se soit avéré nécessaire de réformer le droit pour limiter des libertés fondamentales au profit d’une hypothétique sécurité. Pour d’évidentes bonnes raisons.

Et subitement, ce ne serait plus vrai aujourd’hui ?  Qu’est-ce qui aurait fondamentalement changé dans le juste équilibre qui doit exister entre la liberté individuelle et la sécurité collective ?

La résignation

Ce qui personnellement me révolte le plus dans cette lente érosion de nos droits, ce n’est pas tant l’attitude de nos gouvernements que l’indifférence générale.

Le monde ne sera pas détruit par ceux qui font le mal, mais par ceux qui les regardent sans rien faire (A. Einstein – Comment je vois le monde).

Il faut comprendre que le droit à la vie privée et à l’inviolabilité des communications est un droit fondamental qui dans certains cas s’avère être le dernier rempart contre la dictature.

En démocratie, le législateur devrait protéger ces droits, et non chercher à les abolir !

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Philippe Huysmans

Webmaster du Vilain Petit Canard, citoyen de nationalité belge, marié et père de deux enfants. Je vis en Belgique et j’exerce la profession d’Informaticien à Bruxelles. Mes articles